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Diviser pour mieux servir
Comment les jumeaux numériques deviennent nos coéquipiers IA

L’idée de jumeaux numériques capables de reproduire notre personnalité, nos préférences ou nos comportements intrigue depuis longtemps. Des répliques dynamiques qui pourraient penser, agir et travailler à notre place. Mais pendant des années, cette vision est restée de la science-fiction. La technologie n’était tout simplement pas au rendez-vous.
Ce que nous avons en revanche, ce sont des jumeaux numériques de systèmes que l’on peut mesurer et modéliser. Un jumeau numérique de moteur Rolls-Royce, par exemple, a tout son sens : il s’agit d’un système déterministe, régi par des lois physiques, qui réagit de manière prévisible.
Mais les êtres humains ne sont pas des moteurs. Nous sommes émotionnels, imprévisibles et profondément contextuels. Nous sommes aléatoires. Et modéliser ce degré de variabilité ajoute un tout autre niveau de complexité.
Créer un jumeau numérique de l’eau ? Facile. On sait quand elle gèle, quand elle bout. Mais modéliser une décision prise par une personne après deux cafés et une mauvaise nuit de sommeil ? Là, ça se complique.
Et pourtant, grâce aux récents progrès de l’IA, on commence à voir apparaître des tentatives crédibles pour reproduire certains aspects de la prise de décision humaine. Il ne s’agit pas de clones complets, mais de fragments, formés sur un contexte donné, conçus pour accomplir des tâches précises. Et c’est là que les choses deviennent intéressantes.
Dupliquer sans copier : l’ère des mini-jumeaux
Ce changement de perspective ouvre la voie à une alternative plus réaliste, quoique fragmentée : et si le jumeau numérique de demain n’était pas une réplique complète d’une personne, mais une multitude de mini-jumeaux ?
Dans la série Severance sur Apple TV, un thriller psychologique et futuriste, des employés subissent une opération qui dissocie leurs souvenirs professionnels et personnels. Le personnage de Gemma est ainsi fragmenté en plusieurs simulations IA. Chaque pièce qu’elle traverse contient une version d’elle-même, conçue pour répondre à une peur ou une situation spécifique : une turbulence en avion, une lettre de remerciement à rédiger, un embouteillage. Ce ne sont pas des clones, mais des éclats de personnalité adaptés à un contexte.
Et c’est probablement là que se dirige l’IA.
Dans les entreprises, l’IA agentique crée déjà des substituts fonctionnels d’êtres humains pour des tâches bien délimitées. Besoin d’un agent pour planifier des réunions ? Envoyer un message de relance ? Générer des bouts de code ? Tout cela est déjà possible, et s’améliore rapidement. Ces agents ne sont pas de véritables jumeaux. Ils ne « pensent » pas comme vous. Mais ils peuvent agir comme vous. Du moins suffisamment pour faire illusion.
Et voici où tout se nuance : les humains ne disparaissent pas de ces processus. Ils restent dans la boucle, pour guider, corriger, et apporter un jugement que des règles seules ne sauraient remplacer. Les systèmes agentiques les plus efficaces ne remplacent pas les personnes, ils travaillent avec elles. Ce sont des coéquipiers. Des jumeaux numériques qui complètent nos actions, sans chercher à les cloner.
Certains diront qu’un GPT qui répond à mes e-mails dans mon ton ou qui génère des résumés à partir de mes notes est un jumeau numérique. D’autres diront que c’est juste un très bon outil. Dans tous les cas, nous intégrons peu à peu des fragments de nous-mêmes dans des systèmes capables de fonctionner avec de moins en moins de supervision.
Quand votre jumeau travaille pour quelqu’un d’autre
Les jumeaux numériques les plus avancés ne seront peut-être pas ceux que nous créons pour nous-mêmes, mais ceux que les marques construisent pour prédire nos comportements. Chaque clic, chaque défilement, chaque pause alimente un modèle. Et ce modèle devient une simulation comportementale de vous.
Lorsqu’ils sont conçus avec soin, ces jumeaux numériques apportent de la valeur des deux côtés : ils aident les entreprises à atteindre leurs objectifs tout en enrichissant réellement l’expérience client.
À mesure que l’IA progresse, ces modèles comportementaux deviendront de plus en plus précis. Le défi — mais aussi l’opportunité — est de concevoir ces systèmes dans une logique de bénéfice mutuel. Pas uniquement pour optimiser les taux de conversion, mais pour instaurer la confiance, gagner en pertinence et respecter l’autonomie des individus.
Et maintenant, où va-t-on ?
Prises dans leur ensemble, ces évolutions dessinent un futur non pas peuplé de répliques parfaites d’une même personne, mais de jumeaux contextuels, disséminés sur différentes plateformes, adaptés à des objectifs variés et conçus pour nous assister de différentes façons.
Peut-être ne créerons-nous jamais un jumeau numérique complet. Mais nous sommes déjà en train de disséminer des fragments de nous-mêmes dans des systèmes numériques — au travail, dans la technologie grand public, dans chaque interaction avec une marque.
Ce qui nous attend n’est pas la duplication de nous-mêmes, mais une forme d’extension pratique et contextualisée. Il s’agit de concevoir des agents plus intelligents qui travaillent avec nous, pas uniquement à notre place, mais pour nous.
Alors que nous entrons dans cette nouvelle phase, le plus responsable — et le plus stimulant — est d’imaginer un avenir dans lequel les jumeaux numériques seront conçus avec intention, nourris par l’insight, et alignés sur des résultats humains. Dans l’ère de l’IA, la question n’est plus de savoir si les jumeaux numériques vont exister, mais qui les construit, et dans quel but.